par Jean Marc Bourdin
Jean-Marc Bourdin est un ancien élève de l’ENA École Nationale d'Administration et haut fonctionnaire à la retraite. Il est docteur en philosophie de l'université Paris 8, auteur d'essais sur Marcel Duchamp et sur la théorie mimétique de René Girard. Membre du comité de lecture d’Officiers Perdus, il est présent dans la dédicace du Tome 2 « Rebond en Patagonie » :
Je connais Gilles Hustaix depuis plus de 50 ans. Nous avons partagé beaucoup de nos vies avant que les circonstances nous éloignent durablement. Et puis son projet littéraire nous a permis de nous retrouver. J’ai la chance d’être parmi ceux que Gilles Hustaix consulte sur ses premiers jets. Si je voulais faire pâlir d’envie les lecteurs des deux premiers tomes d’Officiers Perdus, je me vanterais de connaître en avant-première certains chapitres en cours de rédaction !
J’ai une approche de la littérature qui a été formée, peut-être biaisée, par un essai de René Girard publié en 1961, Mensonge romantique et vérité romanesque. L’auteur trouve chez les romanciers géniaux qu’il étudie, à savoir Cervantès, Stendhal, Flaubert, Dostoïevski et Proust, auxquels il ajoutera le dramaturge Shakespeare, le dévoilement de l’illusion romantique qui nous porte à nous voir en héros conquérants maîtres de notre destin. Ils nous révèlent qu’au contraire tous nos désirs sont imités des désirs d’autres : leur autonomie est illusoire. Le Marcel d’À la recherche du temps perdu a pris conscience du snobisme des salons qu’il fréquente et de sa propre addiction à cette maladie mondaine alors que Jean Santeuil reste vaniteux et se prétend au-dessus de contemporains. Pour Girard et les écrivains sur lesquels il s’appuie, nous souffrons d’une insuffisance d’être native que nous cherchons sans cesse à combler. Nous désirons être un autre tout en restant nous-mêmes.
Or dans les romans de Gilles Hustaix, les hommes sont des héros sans faiblesse, peu enclins au doute, persévérant dans un être admirable, les femmes sont belles et désirables. Nul ne semble ressentir un manque d’être et si ses personnages se perdent comme l’indique le titre de la série de romans qu’il a écrits, c’est en raison de circonstances hostiles et présentées comme injustes. Et la rivalité qui naît mécaniquement de certains désirs lorsqu’ils convergent sur des objets uniques semble inconnue dans le monde des officiers parachutistes ou parmi les Basques, pour ne pas parler des officiers parachutistes basques, sorte de parangons des vertus les plus hautes… Moi qui n’ai aucune de ses qualités, j’ai naturellement du mal à m’identifier.
Je devrais donc ne prêter aucun intérêt à ses ouvrages. Même s’il ne faut pas écarter la raison de l’amitié et le privilège que j’ai sur la plupart de ses autres lecteurs d’avoir connu certains des personnages de ses romans et de les avoir beaucoup aimés, au moins deux autres explications me viennent à l’esprit quand je me demande pourquoi j’apprécie les romans de Gilles Hustaix.
La première est stylistique : le rythme de ses dialogues, sa capacité à raconter les anecdotes, l’intérêt qu’il donne à son récit sont bluffants. Le souffle est indéniable.
Mais ce qui est déjà beaucoup ne suffirait pas à mon goût.
La seconde est le sujet lui-même. Ces Officiers Perdus, prêts à sacrifier leur vie, ne l’abandonnent jamais. Leurs vertus militaires leur permettent de repartir de plus belle dans le monde civil auquel ils ont été condamnés, qu’ils soient en fuite, libérés après un long emprisonnement ou en raison de l’époque dans laquelle ils vivent. Leur honneur est de ne jamais se rendre et de combattre jusqu’au bout.
Peut-être que les écrivains géniaux qui fascinaient René Girard ont fini par convaincre la plupart des auteurs contemporains de renoncer à l’héroïsme, à l’honneur, au courage et à la pugnacité au point de se complaire dans de barbantes autofictions introspectives ou de tenter des exofictions accusatrices. La grande originalité du projet romanesque de Gilles Hustaix est de s’autoriser une évocation des conduites héroïques.
Et si chacun peut avoir une opinion sur les causes que ces officiers épousent et qui, dans un certain nombre de situations, les ont perdus, le plus important est ailleurs : leur volonté inébranlable leur permet de surmonter les embûches sur lesquelles tant d’autres achopperaient indéfiniment pour gagner leur salut individuel. En cela ils retrouvent les personnages des grands romans stendhaliens, Julien Sorel ou Fabrice Del Dongo, ou le Marcel du Temps retrouvé. Peut-être est-ce le destin de Gilles Hustaix de créer une œuvre rédemptrice ?
Amicalement à toutes et tous,
Jean Marc Bourdin
PhD de Philosophie
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